TRONCHET EST LE FILS DU YETI - INTERVIEW

En l’espace de huit jours, l’odyssée intime d’un homme sur les traces de son passé. Un nouveau départ pour le travail de Didier Tronchet en bande dessinée, sur le thème de la filiation.
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Ébranlé par un incendie qui aurait pu lui coûter la vie, le narrateur de cette histoire ressent le besoin de renouer avec son propre passé, matérialisé par une série d’albums photos qui récapitulent une bonne part de son existence – à commencer par la mémoire de son père trop tôt disparu. Ainsi débute une étrange période qui, huit jours durant, conduit cet homme solitaire et secret sur le chemin d’une profonde introspection. Avec la complicité de son jeune neveu Anthony, qui lui est profondément attaché, il entreprend une sorte de pèlerinage impromptu au cœur de ses racines familiales, habité par le sentiment du temps qui passe et la conscience aiguë de la fugacité des êtres et des choses. Ce voyage à rebours de plus de trente ans, à la fois géographique et intérieur, lui permettra, grâce à une lettre miraculeusement retrouvée, de redécouvrir la profondeur de son attachement pour son père et de se confronter enfin à un désir de paternité longtemps refoulé.


Avec pudeur, une touche d’humour, Didier Tronchet a viré le deuxième degré de Raymond Calbuth et Jean-Claude Tergal pour transposer en bande dessinée son propre roman éponyme paru en 2011 chez Flammarion. Une manière de dévoiler un registre sensible et intimiste qu’on ne lui connaissait pas en bande dessinée, et une réflexion touchante sur les ressorts de la filiation.

La plupart des éléments du récit sont du vécu - dixit Tronchet -  un jour ma femme de ménage m’a annoncé qu’elle avait reçu une communication téléphonique annonçant la mort d’un proche. Comme elle ne parlait pas très bien le français, elle était incapable de me dire qui ? Situation intéressante, tu te retrouves avec tous tes amis potentiellement morts et alors tu retrouves l’attachement que tu avais envers eux en y repensant. L’incendie aussi… une nuit je me suis réveillé, incommodé par du bruit et de la fumée. L’immeuble est en flamme. Qu’est-ce que je vais sauver ? Tu viens d’être réveillé en sursaut, tu n’as pas encore toute ta lucidité. Tes papiers ? Ceux-là tu peux en faire des duplicatas, alors j’ai pris mes albums photos, dans un sac de sport mais contrairement à mon récit, je ne l’ai pas jeté… Encore du vécu, ma voisine du dessous, en dessous qui s’est évanouie dans mes bras et ma main a frôlé son sein, comme dans la BD. On était pourtant en novembre et personne n’avait pensé à s’habiller…

J’ai commencé par un roman de 200 pages dans lequel je ne savais pas où j’allais, ce médium me permettant d’aller dans toutes les directions, l’autonomie de l’écriture… J’avais envie de raconter des secrets de famille, de père, des choses qui m’obligeait à être plus sincère que d’habitude… Cette façon de raconter n’était pas possible en BD, j’étais obligé d’avoir un fil directeur. J’ai dû débroussailler mon histoire, tailler dedans, trouver un chemin… Cela devait être sincère mais drôle aussi, accessible pour un lecteur « extérieur », un auteur doit être capable de mettre en scène pour communiquer le plus légèrement possible. Je ne maitrise pas la façon dont les gens vont recevoir le truc, je trouve suspect de tout contrôler. L’intérêt est d’être surpris par ce qu’on raconte et par le dessin qui va venir. Si on contrôle tout à quel moment y a-t-il sincérité ? Je me suis surpris moi-même en incluant dans l’histoire des choses que je n’avais pas prévu de mettre. Je ne suis pas un grand dessinateur, ce n’est pas ma vocation, je fais comme je peux, il y a une osmose rapide qui se fait, étant à la fois auteur, scénariste et dessinateur… Je ne calcule pas, le premier dessin qui vient est le bon, il vient de l’histoire.

L’audience d’un livre est ridicule. La librairie et l’édition du livre s’effondre, certains, la plupart se vendent à 500 exemplaires, d’autres à 100.000 et entre les deux, rien. Il y a la peur du lecteur. En BD tu peux ouvrir un bouquin et savoir de quoi ça va parler, un livre non. En librairie tu es submergé, trop de livres, tu te sens agressé, tu as peur tu prends le livre qui se vend le plus. En puis vas-y en littérature pour intéresser un journaliste, tu es un auteur de BD qui fait un bouquin… pour les premiers que j’ai fait j’ai été sauvé par mon sujet, le vélo urbain, sur la paternité… Les suivants, laisse tomber !  Je les comprends, j’ai été journaliste moi-même… Si dans une rubrique littéraire tu vois arrivé un bouquin fait par un auteur de BD, c’est comme un chanteur…

Le titre, il faut attendre les ¾ du bouquin pour que cela devienne clair, mais cela ne me gêne pas… Cette référence à Tintin au Tibet, qui m’a valu quelques haussements de sourcils de la part des ayant-droits mais le yéti est la madeleine de Proust, elle permet au personnage principal de se rapprocher de son neveu avec qui il passe des vacances. C’est un des fils conducteurs du récit, cette relation entre le personnage principal et son neveu et cette lettre qu’il a reçu de son père qui était destinée à un enfant de trois ans alors qu’à présent il va la découvrir et il en a quarante…

 

 

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